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Nuages ​​dans le ciel

"Tiens, au fait, qu'est-ce qu'un géomètre ?

Dans aucune autre profession, que je sache, on n’y allie aussi intimement le manuel et l’intellectuel.

Par tous les temps, et Dieu sait s’ils sont nombreux et divers en cette région que l’on dit tempérée, le géomètre parcourt les champs, les prairies, les bois, les routes, voire les marais, les ruisseaux, les collines et même les monts. Rien ne l’arrête. Il apprend à contourner les obstacles.

Tandis que fermiers, cultivateurs et hommes de chantier caracolent aujourd’hui sur leurs engins motorisés, le géomètre, lui, arpente le sol comme ses ancêtres, les deux pieds bien en contact avec la glèbe.

Le lendemain, le voilà au milieu du trafic routier, sur les berges d’un canal, au sommet d’une usine, parmi les matériaux d’un chantier de construction, dans le poussier d’une carrière.

10, 15, 20 instruments et outils sont à son service. Ses appréciations, ses mesures, vont de la seconde centésimale aux portées de plusieurs kilomètres. Les mathématiques arides prennent forme et vie lorsqu’il met en jeu lunettes, rubans, prismes scintillants, jalons rouges et blancs et que sous son crayon, le terrain devient nombres et lignes. Au bout de sa journée, de tout ce déploiement de signaux et instruments, il ne reste que quelques repères discrets, presque insignifiants pour ceux qui ne sont pas dans le secret.

Les bottes lourdes, les reins pesants, des couleurs au visage, il rentre chez lui, marqué par sa besogne.

C’est dans son bureau que ces lambeaux de sol reprennent forme, dans une réalité dont il a le secret : comme un travail d’alchimie, fait du fourmillement du calcul, de l’encre noire qui va marquer en sens divers le parchemin transparent, de la mise en branle de toutes sortes d’instruments planes, pointus, aigus, chromés aux étranges facettes, c’est là que le géomètre élabore le document sur lequel vont se pencher les hommes de loi, les faiseurs de projet, les tabellions, les commis publics et ceux qui détiennent bâtisses et terres.

Entre eux tous, lui et son travail seront la langue avec laquelle ils vont se comprendre.

Tâche combien délicate lorsque sont mis à nu de vieux différends, des inimitiés de toute une génération ou simplement la peur un peu animale du trop proche. C’est là que, derrière ses mappes et ses chiffres, il faut que le géomètre travaille avec son cœur, capable de faire fondre les craintes et de renouer un lien d’harmonieux voisinage.

Mesureur du sol, de ses accidents et de ses galeries, présidant aux mouvements des terres et à l’implantation des bâtisses, des ouvrages, le géomètre pénètre aussi dans l’habitat. Il est celui qui connaît les normes de l’occupation. Il fait le pont entre celui qui aménage et celui qui entretient. Et il traduit une fois encore, non plus un dessin en un métrique, mais en valeurs d’argent, ce qu’il observe, en construit comme en détruit, au cours du jour ou par-dessus les époques.

Homme de tradition millénaire, homme de l’électronique, homme du parcellaire et homme du géoïde, le géomètre a les deux pieds bien au sol dans un monde déboussolé, qui s’écartèle et qui se ramasse, un monde qui bouge, quoi !

Que mille métiers se fassent ou se défassent autour de lui, dans un monde passionnant et inquiet qui se cherche, le géomètre y garde sa place. Sa responsabilité grandit dès le moment où repères et critères deviennent flous. Il faut qu’il reste celui qui dit vrai, celui qui dit juste, lorsqu’on ne sait plus à qui se fier ni vers quoi aller...

Sachant reconnaître ses erreurs, les mesurer, déchiffrer, et revenir sans honte sur ses pas pour les corriger…

C’est ça un géomètre !"

Luc Ghys © 2007

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